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Téléenseignement: «L’objectif? Que 100 000 Africains s’inscrivent à nos cours!»

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 06:00

L’EPFL se lance dans les cours en ligne ouverts et massifs (MOOC).Patrick Aebischer, président de la grande école, croit au développement fulgurant de l’enseignement à distance en Afrique.

De retour d’un congé sabbatique de six mois, le président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Patrick Aebischer, s’enthousiasme pour le développement sensible des cours en ligne ouverts et massifs ou massive open online courses (MOOC), notamment en Afrique. Le MOOC est une formation ouverte et à distance organisée en téléenseignement. Dispersés géographiquement, enseignants et étudiants, lesquels peuvent se compter jusqu’à 100 000 pour un seul cours, communiquent exclusivement par l’internet. L’EPFL est devenue le fer de lance du développement des MOOC en langue française dans les pays en développement. Entretien.

01. L’EPFL, pionnière des MOOC

Quelle a été l’origine de votre implication dans les MOOC?
Quand, en octobre 2010, la Suisse a organisé en urgence le 13e Sommet de la francophonie à Montreux après la défaillance de Madagascar, le Département fédéral des affaires étrangères m’a demandé de participer à un programme de coopération universitaire francophone de grande ampleur. Ainsi est né le Réseau d’excellence des sciences de l’ingénieur de la francophonie (RESCIF). Six grandes écoles ou institutions de France, de Belgique, du Canada et de Suisse, avec l’EPFL, se sont associées à sept autres du Vietnam, d’Haïti, du Cameroun, du Sénégal, du Maroc, du Liban et du Burkina Faso. Il s’agissait de mettre nos laboratoires en commun. C’est alors que les MOOC ont commencé à s’inviter à ce projet. Et à s’y greffer.

Il y a quatre ans, les MOOC en langue française étaient quasiment inexistants. Quel constat faisiez-vous alors?
Lors d’une réunion annuelle du World Economic Forum (WEF) en 2010, je participais à une rencontre de présidents d’universités. Il était question de collaboration avec des universités africaines. Nos amis américains étaient venus avec une bonne trentaine d’universités, toutes anglophones. Faisant remarquer qu’il manquait peut-être une ou deux grandes écoles francophones, je me suis entendu répondre en anglais: «Oh oui, nous avons oublié qu’une partie de l’Afrique parlait français!»

Une réflexion qui vous a encouragé à aller de l’avant?
Oui, d’autant plus que j’ai parfois été accusé à tort d’avoir américanisé l’EPFL. Laquelle est aujourd’hui la seule grande école polytechnique au monde totalement bilingue dans son enseignement.

Quand l’EPFL a-t-elle commencé à se lancer dans les MOOC?
En mai 2012, je me suis rendu à l’Université Stanford, où deux professeurs d’informatique ont fondé l’entreprise numérique Coursera qui propose des MOOC. Plus d’un million d’étudiants de 196 pays étaient inscrits à au moins un cours. A la faveur des adresses IP permettant de localiser les étudiants, j’ai pu découvrir avec étonnement un nombre relativement important de points lumineux en Afrique. Dès lors, nous avons convaincu le professeur Martin Odersky, qui enseigne des méthodes de programmation à l’EPFL, de mettre son cours en ligne. Plus de 20 000 étudiants s’y sont inscrits. Dans la foulée, nous avons monté à Lausanne le Center for digital education, MOOC.

02. L’implantation africaine

Avez-vous privilégié certains pays en Afrique?
Si l’EPFL est l’initiatrice de ce projet, elle n’est pas seule. Il s’agit d’une entreprise collective qui associe les membres du RESCIF, dont l’Ecole supérieure polytechnique de l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar et l’Ecole nationale supérieure polytechnique de Yaoundé. Le directeur de cette dernière, Charles Awono, un mathématicien de haut vol, s’est montré particulièrement enthousiaste. Dans une semaine, je me rends de nouveau à Dakar pour participer à un congrès réunissant une vingtaine d’écoles de 10 pays d’Afrique de l’Ouest. Il s’agit pour nous tous de sélectionner une ou deux institutions par pays chargées de mettre en œuvre les MOOC. Ces dernières ont ensuite la responsabilité d’étendre ce type d’enseignement aux autres grandes écoles de leur pays.

Le continent africain en ligne de mire, c’est assez nouveau pour l’EPFL?
En effet, nous nous sommes dans le passé plutôt tournés vers l’Europe, les Etats-Unis, le Japon et plus récemment vers la Chine. L’Afrique, c’est un tournant. Les échanges se sont intensifiés entre ce continent et l’EPFL.

Les jeunes Africains sont-ils vraiment demandeurs?
Quand on réalise des MOOC en langue française, près de 30% des étudiants qui s’inscrivent résident en Afrique. Et ce n’est qu’un début. Pour eux, avoir accès gratuitement aux cours de grandes écoles comme le MIT, Harvard ou l’EPFL est un grand privilège. Leur soif d’apprendre est immense.

Et l’Afrique de l’Est?
Nous sommes aussi allés en Tanzanie, qui pourrait devenir le quartier général des MOOC pour l’Afrique orientale de langue anglaise. Grande a été ma surprise de constater aux alentours d’Ifakara, dans la région de Morogoro, que des habitants manquaient d’eau et d’électricité mais étaient cependant connectés. La connexion en Afrique est vitale. Les étudiants disposent de téléphones mobiles et de portables. Ils commencent à s’équiper de tablettes.

Malgré tout, les infrastructures techniques ne font-elles pas cruellement défaut?
Certes, grâce aux Chinois, les fibres optiques sont installées. Mais pour que les MOOC puissent fonctionner, il faut une bande passante suffisamment large, qui n’existe pas encore sur les campus. C’est pourquoi les étudiants se rassemblent souvent dans des cybercafés qui sont correctement équipés. Mais ce n’est qu’une question de temps. D’ici deux à trois ans, ces problèmes techniques seront réglés. Le Center for digital education, MOOC, contribue à les résoudre en partenariat avec les Africains.

03. Le volet pédagogique

Quels cours l’EPFL dispense-t-elle?
Des cours de base en mathématiques, physique et informatique. Ce sont rigoureusement les mêmes que ceux qui sont enseignés aux étudiants de l’EPFL. Nous avons par ailleurs ajouté des matières spécifiques comme celle de la ville africaine qui aborde les problèmes d’urbanisation. Jérôme Chenal, l’un de nos enseignants, est responsable de ce cours. Un autre module concerne l’eau, réalisé avec l’Eawag à Dübendorf, l’un des instituts de recherche les plus réputés au monde dans ce domaine.

Le téléenseignement ne permet pas un contact physique privilégié avec le professeur. N’est-ce pas une sérieuse lacune?
En Suisse, les MOOC sont une plus-value. Les étudiants peuvent revoir le cours d’un professeur présent sur le campus. Rien de tel, bien sûr, en Afrique où la relation personnelle avec l’enseignant est quasi impossible. Mais cela n’empêche pas la magie des MOOC d’opérer. Les étudiants s’échangent des idées d’un cybercafé à l’autre, usant à plein régime des réseaux sociaux. C’est une démarche participative. Mais les enseignants doivent encore imaginer de nouvelles manières de communiquer pour rendre l’exercice plus attractif, plus convivial et plus efficace.

Quelles plateformes l’EPFL utilise- t-elle?
L’EPFL utilise les plateformes des entreprises numériques Coursera et edX. Elle est l’une des très rares institutions à utiliser deux plateformes simultanément. Par ailleurs, nous travaillons avec le portail OCEAN qui regroupe l’école polytechnique de Paris, celle de Montréal, les écoles normales supérieures de Paris et de Lyon, l’Université catholique de Louvain et l’EPFL. Enfin, s’agissant d’informatique, la protection des données demeure un point sensible sur lequel nous devrons nous pencher. Comme les plateformes sont américaines, il est préférable de ne pas négliger cet aspect.

Quel est votre objectif?
J’aurai réussi mon congé sabbatique quand 100 000 Africains se seront inscrits à nos cours. Les MOOC sont par ailleurs un superbe outil de recrutement des étudiants sur le campus de l’EPFL. Nous pouvons détecter les meilleurs d’entre eux parmi les dizaines de milliers qui suivent l’enseignement à distance. Enfin, une autre application des MOOC ouvre des perspectives très prometteuses: la formation professionnelle et continue. L’enseignement à distance, c’est un paradoxe, rapproche les peuples et réduit le fossé Nord-Sud.

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François Wavre / Rezo
DR
Thierry Parel
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