Crise.L’investisseur multimilliardaire, 83 ans, plaide en faveur d’un engagement accru de l’Allemagne pour favoriser un rétablissement des économies de l’Union économique et monétaire et dit pourquoi il peut valoir la peine d’investir en Grèce.
Propos recueillis par Michael Sauga et Gregor Peter Schmitz
En 1992, il parvenait à éjecter le Royaume-Uni du Système monétaire européen en pariant avec succès contre une livre sterling alors surévaluée. Le financier new-yorkais d’origine hongroise George Soros n’a, depuis lors, rien perdu de son mordant. Agé de 83 ans, il continue de donner le ton aux marchés. Il a encore gagné près d’un milliard de dollars entre novembre 2012 et février 2013 en pariant contre le yen, au moment où le gouvernement de Shinzo Abe annonçait des réformes économiques majeures destinées à redresser l’économie de l’archipel. Selon le magazine Forbes, sa fortune atteint quelque 20 milliards de dollars (18 milliards de francs).
Le «Financial Times» vient de qualifier votre fonds Quantum de «hedge fund le plus couronné de succès de tous les temps», après qu’il eut engrangé l’an dernier un profit de 5,5 milliards de dollars. Est-ce que vous allez vous offrir un nouveau jet privé?
Ce n’est pas au programme. Les bénéfices de mon fonds reviendront avant tout à ma fondation, qui se consacre à des projets humanitaires et politiques dans le monde entier. En ce qui me concerne, je me suis désormais retiré de l’opérationnel: mon équipe est seule responsable de la politique d’investissement.
C’est peut-être ce qui a stimulé le succès, car vos propres pronostics ne se sont pas toujours réalisés. Il y a deux ans, par exemple, vous aviez prédit la prochaine disparition de l’euro si la chancelière allemande Angela Merkel ne voulait rien savoir des euro-obligations. Vous avez eu tort.
Pas vraiment. La situation de la zone euro demeure très critique, les Allemands le savent aussi. La politique d’austérité à laquelle la chancelière a contraint l’Europe était fausse. Elle a inutilement aggravé la crise. C’est vrai qu’entre-temps la situation s’est rassérénée sur les marchés financiers, mais on ne saurait parler d’une reprise durable. Je crains que la zone euro n’affronte une phase de stagnation économique aussi longue que le Japon ces vingt-cinq dernières années.
Vous peignez le diable sur la muraille. Jusqu’à une date récente, bon nombre d’experts considéraient comme convenu que l’euro devait s’effondrer tôt ou tard. Depuis lors, ce danger passe pour écarté.
Il est vrai que les marchés financiers, se fondant sur les annonces faites par la Banque centrale européenne (BCE) d’acheter en cas de besoin des obligations d’Etat de manière illimitée, se sont apaisés à court terme. En revanche, c’est la crise politique qui s’aggrave, comme le montre le renforcement des contempteurs de l’euro et des partis populistes de droite de bien des pays du continent. Les réformes sont plus faciles à mettre en œuvre quand l’économie est en croissance. C’est une bonne vieille expérience faite un peu partout dans le monde. Il n’y a qu’en Allemagne, apparemment, qu’on se montre décidé à l’ignorer.
C’est aussi le credo de votre nouveau livre, qui a paru ces jours. Qu’attendez-vous du gouvernement allemand?
L’Allemagne est en ce moment la puissance économique et politique dominante en Europe, mais elle n’est pas à la hauteur de la prépondérance qu’elle a acquise. Les Allemands ne font que le minimum nécessaire pour conserver l’euro. Mais cela ne suffit pas pour ramener enfin le continent sur le chemin de la croissance.
La Banque centrale européenne réfléchit à stimuler la croissance par l’achat d’emprunts d’Etat de tous les pays de la zone euro, sur le modèle de la Fed, la banque d’émission américaine. Qu’en pensez-vous?
La Banque centrale européenne a bien réussi à injecter de l’argent dans les banques de l’Union monétaire. Le problème est que le secteur financier n’a pas suffisamment transféré cet argent aux entreprises. Il est certes raisonnable que la banque d’émission tente de résoudre ce problème de resserrement du crédit, mais sa marge de manœuvre est réduite. J’entrevois peu d’espoir tant qu’il n’y aura pas davantage d’investisseurs privés pour s’engager dans les Etats en crise.
Vous êtes un investisseur privé. Pourquoi n’achetez-vous pas davantage de participations en Grèce?
Mon équipe teste la chose. Les conditions économiques dans le pays se sont améliorées. Il s’agit désormais de savoir si, dans ce pays, on peut gagner de l’argent durablement. Si c’est possible, nous investirons.
Vous jugez durement le gouvernement allemand. Il y a en Allemagne de fortes réticences aux hedge funds tels que les vôtres. N’avez-vous jamais tenté de gagner de l’argent en spéculant contre l’euro?
Non, je n’ai pas voulu me retrouver en conflit d’intérêts, du moment que je dispensais simultanément des conseils quant à la zone euro. Je crois en l’euro. Et c’est pourquoi mon équipe d’investisseurs se réjouit de gagner bientôt un tas d’argent en Europe en injectant des fonds dans les banques qui ont un urgent besoin de capitaux. C’est précisément de ce type d’engagement privé que la zone euro a besoin ces temps, et nous entendons y contribuer.
Ne craignez-vous pas que vos plans d’investissements risquent d’être mis en danger par les problèmes de la Chine? Le secteur financier y est assis sur une montagne de crédits pourris.
Cela me cause d’énormes soucis. Un drame est en train de se jouer. Les autorités doivent enfin stimuler la demande interne. Sans parler du fait que l’endettement privé chinois a augmenté beaucoup plus vite que la performance économique. Les dirigeants chinois n’ont rien entrepris contre cette explosion de l’endettement parce qu’ils ne se sont intéressés qu’à la croissance économique. C’est un vrai problème, car ce qui se passe en Chine détermine ce qui se passe dans le reste du monde. © Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzy
«Wetten auf Europa – Warum Deutschland den Euro retten muss, um sich selbst zu retten». Spiegel Buchverlag, 2014, en allemand.
George Soros
Né György Schwartz à Budapest en 1930, George Soros est un financier multimilliardaire américain d’origine hongroise. Ses activités de spéculateur ont marqué l’histoire des Bourses de devises, notamment quand il a fait sauter la Banque d’Angleterre, en 1992, en vendant 10 milliards de livres à découvert, ce qui a obligé la banque d’émission à sortir du Système monétaire européen. Avec l’âge, l’homme est devenu un philanthrope actif, son Open Society Institute travaillant notamment au développement de sociétés ouvertes et démocratiques.
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