Père du Code civil suisse, Eugen Huber conçut une forme de personne morale qu’il appela «association» (Verein): elle conviendrait aux clubs et mouvement divers, allant du Männerchor de Steffisbourg qu’un jour immortaliserait Gilles, au parti politique à peine fondé ou à la section des pompiers auxiliaires de Tolochenaz. Libéral, Huber conçut les associations sous une forme simple, sans formalités: quelques membres, des statuts candides, une organisation au moins esquissée, et vogue la galère, l’association est un sujet de droit! Le succès fut foudroyant et il y eut bien vite des milliers d’associations.
S’il voit aujourd’hui l’usage que la FIFA fait de son invention, Huber doit se retourner dans sa tombe. Les milliards de droits de télévision et de sponsoring qui se déversent sur cette «association» montrent sans contestation possible que seule une société anonyme, cotée en Bourse, avec des actionnaires vigilants, des comptes transparents et aucun groupe dominant, serait en mesure de gérer une pareille manne sans y perdre son âme. De l’association d’origine, où quelques bourgeois bien nés s’occupaient de promouvoir le plus beau jeu du monde, les torrents de pistoles répandus au fil des années ont fait une hideuse prébende, un marécage aux eaux glauques et pestilentielles, hanté de crocodiles tapis dans la vase, n’attendant qu’une occasion pour se précipiter sur leurs proies de prédilection: l’argent et le pouvoir.
Le Haut-Valaisan Sepp Blatter est de longue date le mâle dominant parmi les sauriens avides embusqués sous la boue du cloaque. Il a pour ce faire les qualités indispensables: la culture ne l’intéressant guère – hors l’art de Barrême1, car il compte vite et juste –, il sait jouer de son affable cuistrerie pour donner à autrui l’image d’un brave montagnard, descendant de quelque lansquenet suisse au service de la France, dont il aurait la loyale simplicité et la rude franchise.
En réalité, notre madré compatriote a su assurer son pouvoir avec une adresse remarquable, dont il n’a d’ailleurs pas le monopole – bien d’autres fédérations «sportives» sont aux mains de roitelets à l’âpreté comparable – mais qu’il pratique à une échelle vertigineuse. En droit suisse, le comité d’une association – sa direction, en somme – doit être élu par l’assemblée générale, car la loi l’exige. Seuls les membres ont le droit de vote. Le rusé montagnard s’assure donc la loyauté d’une camarilla de féaux, souvent tiers-mondistes: aux présidents de ces zombies dévolus au «développement du football», à ces porte-pipes de Blatter, va la manne de la FIFA, sous forme de chèques qu’il signe, sachant avec tact ne pas se montrer regardant sur l’usage qui en sera fait. Bien arrosés, les sous-verge renvoient l’ascenseur et réélisent Blatter contre vents et marées. Malheur en revanche à qui conteste ou critique l’autocratique géronte: sa fédération apprendra à ses dépens qui décide des libéralités sur la «planète football».
Sepp Blatter nuit à la Suisse et constitue un réel handicap pour le pays. Détenant un pouvoir qui le dépasse moralement, le voici atteint de mégalomanie: il parcourt la planète en jet privé, arrosant ses séides à coup de millions, croyant à ses propres discours sur le «splendid game», autiste et aveugle à la dépravation qui l’entoure. Il exige d’être reçu et traité comme un chef d’Etat, il se veut une sorte de maître de l’univers. Aux accusations de corruption et de trafics de toutes sortes – qui contesterait aujourd’hui sérieusement que le Qatar a acheté la Coupe du monde? –, il oppose un mépris souverain, voire des griefs de «racisme». Et, à bientôt 80 ans, il se cramponne aux sacs d’or de la FIFA et cherche un nouveau mandat.
En termes d’image, le résultat est désastreux pour la Suisse: la putréfaction de la FIFA éclate aux yeux du monde depuis des années. Et notre pays ne fait rien, hors quelques grognements occasionnels. Nous ignorons les miasmes malodorants répandus sous nos narines. C’est un de nos fils qui trône au pinacle de cet univers de combines, d’intrigues, de bakchichs et de prévarications, où des coteries de dirigeants véreux se remplissent les poches sur le dos de gamins qui jouent pieds nus au football en rêvant d’être un jour Messi ou Ronaldo.
A l’heure où notre pays est houspillé de toutes parts, on se passerait volontiers d’un opprobre supplémentaire. Mais la Suisse n’a plus besoin d’ennemis: des «amis» tels que Sepp Blatter suffiront à son malheur.
1 François Barrême, mathématicien français du XVIIe siècle, auteur d’un traité de comptabilité, d’où le mot «barème».
sur www.hebdo.ch retrouvez les chroniques de Charles Poncet dans son blog L’avocat du Diable
Clik here to view.
