Le feuilleton Giroud avec ses rebondissements drolatiques mais toujours scandaleux, on aurait voulu l’imaginer qu’on n’aurait pas pu. La complexité du scénario tient d’abord à la personnalité de Dominique Giroud, à sa mégalomanie teintée de paranoïa, mais aussi à un canton, le Valais, qui peine à faire sa révolution. On peut envisager l’affaire sous l’angle vitivinicole avec la découverte toujours possible d’autres moutons noirs et de vins illégalement coupés. Les tentatives d’effractions des ordinateurs de journalistes, les mesures provisionnelles à l’endroit de la RTS rappellent aussi combien la liberté de la presse peut être facilement ébréchée. La trame est si riche qu’on en oublierait presque son originel volet fiscal. En effet, l’histoire débute sur les ennuis de Dominique Giroud avec les impôts et des montages assez exotiques pour nourrir toutes les suspicions et l’ouverture d’une enquête pénale (lire en page 6).
On ne prétendra pas ici que les autorités fédérales aient voulu faire un exemple. Ni qu’il y ait eu un plan concerté pour coincer un homme d’affaires emblématique jusque-là défendu par une espèce d’omerta clanique. Il est indiscutable toutefois que cette affaire coïncide avec un grand moment de remise à plat du système fiscal helvétique.
Sur le front extérieur, la Suisse n’a eu ni le choix du timing ni celui du terrain. Bousculé par les Américains, mis sous pression par les Européens, le gouvernement a été contraint d’accepter l’échange automatique d’informations avec l’étranger. Difficile d’imaginer que les Suisses puissent éternellement préserver un secret bancaire à usage interne, où les cantons auraient plus de facilité à collaborer avec les administrations des pays voisins qu’avec celles des autres cantons. Mais, une fois encore, la discussion se fait de manière peu claire. La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, elle-même une ancienne grande argentière du canton des Grisons, hésite: un pas en avant, deux en arrière…
Il y a urgence pourtant à poser clairement les termes de la nouvelle équation fiscale et à faire des choix. La redéfinition de la fiscalité des entreprises, en particulier celle des sociétés à statuts spéciaux, va encore péjorer les comptes de cantons déjà dans le rouge. Le grand souk ne fait que commencer, mais la Suisse n’a d’autre choix que de se mettre en conformité avec les standards internationaux, c’est évident.
Selon les estimations, 5 à 8 milliards de francs sont soustraits au fisc chaque année. On le sait: il ne suffira pas d’un seul cas Giroud. Il en faudrait cent, il en faudrait mille pour véritablement faire une différence et renflouer les caisses publiques. L’affaire valaisanne a toutefois une vertu. Celle d’être le catalyseur d’un débat qu’il serait peu judicieux de glisser trop longtemps sous le tapis.
