Analyse. Jugé minime pendant longtemps, le danger d’une spirale déflationniste entraînant la Suisse dans une longue phase de crise refait brutalement surface.
Imaginez un monde où les prix ne cesseraient de baisser. Pommes de terre, téléphones portables, voitures, tout deviendrait moins cher de jour en jour. Un paradis, dites-vous? Un enfer, rétorquent les économistes. Car ce monde ne serait plus celui où il est plutôt facile de décrocher un emploi et où la propriété du logement servirait de tirelire pour les vieux jours. Au contraire, les jobs se raréfieraient, faisant baisser les salaires, alourdissant de jour en jour les charges hypothécaires.
«La déflation, ce n’est pas qu’une baisse marquée et continue des prix», explique Michel Girardin, économiste indépendant et chargé de cours en finance à l’Université de Genève. «C’est aussi une baisse massive de l’activité économique. Les consommateurs réduisent leurs achats car ils s’attendent à une baisse des prix des biens et services. Cela entraîne une diminution marquée de l’activité pouvant déboucher sur une dépression comme dans les années 30. Cela fait une vingtaine d’années que le Japon est victime de déflation», poursuit le spécialiste.
La déflation est un cercle vicieux dont il est extrêmement difficile de s’extraire. «Le seul moyen reconnu est une injection massive de liquidités dans l’espoir de faire repartir les prix à la hausse», explique Michel Girardin. Or, cela ne fonctionne pas toujours. Le Japon s’y emploie depuis plusieurs années et n’est pas encore parvenu à s’en sortir.
La Suisse a cru ces dernières années s’être immunisée contre ce danger. Son économie est en expansion et les prix continuent leur progression, certes à un rythme très modéré. Mais cette chance pourrait s’arrêter là. La Banque nationale suisse (BNS) s’alarme que l’inflation, déjà minimale, s’abaisse encore ces prochains mois «en raison principalement de la dégradation des perspectives conjoncturelles internationales, mais aussi du ralentissement de la croissance».
L’institut a ainsi fortement réduit ses prévisions de croissance. Il prévoyait un solide 2% en juin dernier. Il n’anticipe plus que 1,5%, un niveau encore confortable certes, mais potentiellement sujet à de nouvelles baisses si le ralentissement de l’Allemagne et de la Chine, les deux partenaires commerciaux les plus dynamiques de la Suisse, se confirme.
A l’été 2003 déjà, l’économie helvétique redoutait un plongeon dans la déflation. «Dans l’environnement économique actuel, ce serait terrible», s’inquiétait ainsi Stéphane Garelli, professeur à l’IMD à Lausanne. La conjoncture était en récession depuis deux ans et les banques centrales avaient abaissé leurs taux d’intérêt à des niveaux plancher inédits. Déjà, on disait qu’elles étaient en train de tirer leurs dernières cartouches.
Mais, contrairement à la crise de 2008, elles n’ont pas dû amener leurs taux d’intérêt à zéro ni injecter massivement des liquidités. Le spectre de la déflation s’est estompé dès l’automne 2003 grâce à la reprise de la conjoncture mondiale, qui a entraîné une hausse progressive des prix. Celle-ci est même devenue si forte qu’au printemps 2008, quelques mois avant que la faillite de la banque Lehman Brothers ne ravage l’économie mondiale, les banques centrales étaient obnubilées par… la lutte contre l’inflation.
Ce scénario de sortie de crise doit se répéter, soutient l’économiste Samy Chaar, stratège chez Lombard Odier à Genève. «L’économie de la zone euro ne va pas replonger dans la récession, en dépit de ses fragilités actuelles. La baisse de l’euro face au dollar va accroître la compétitivité de ses entreprises, générant le cercle vertueux de la reprise de l’investissement, grâce à une amélioration du crédit, et de la consommation.» Cet optimisme est partagé par d’autres économistes bancaires.
Mais pas par tous. Michel Girardin prend l’avertissement de la BNS très au sérieux: «Il faut toujours écouter les banques centrales», jure-t-il. Pour une bonne raison: «Elles n’ont aucun intérêt à brandir le spectre de la déflation.» Car celle-ci montre crûment la limite de leur pouvoir d’intervention.
Clik here to view.
