Ils se battent comme de beaux diables, les argentiers cantonaux romands. Pour défendre les forfaits fiscaux. Pour limiter la casse due à la mise aux normes internationales de l’imposition des sociétés.
Pourquoi en est-on là? Parce que depuis belle lurette l’habitude s’est installée de caresser dans le sens du poil les entreprises et les riches particuliers venus d’ailleurs. Au détriment des entrepreneurs et des contribuables suisses. Cette injustice se paie un jour.
Lorsque le canton de Vaud introduisit de telles faveurs au XIXe siècle, il avait ses raisons. Il était pauvre. Il démarrait dans le tourisme. Plus récemment, suivi par d’autres, cet outil a servi à attirer des états-majors prestigieux, des brasseurs d’affaires et des évadés fiscaux.
On n’a pas assez dit combien les statuts spéciaux accordés aux enseignes étrangères sont choquants, d’abord pour les patrons qui créent de la richesse et de l’emploi avec un passeport suisse et paient leur dû plein pot. Pour tous les citoyens qui ne demandent aucune faveur. C’en est fini. La pression internationale l’a emporté: toutes les entreprises seront taxées au même taux. Cela fait mal: des centaines de millions manqueront dans les caisses cantonales. Lourde facture d’une politique longtemps aberrante, enfin corrigée.
Le truc des impôts dits «à la dépense» est aussi boiteux. Il faut donc trois conditions pour bénéficier de ce privilège. D’abord, être étranger. Deux, ne pas travailler (ou alors sans le dire). Trois, pour bien s’en tirer, vivre le plus modestement possible. Prime donc aux non-Suisses, aux fainéants d’apparence et aux radins, à condition bien sûr qu’ils soient fort riches.
Quel étrange signal sur les valeurs que cultive ce pays, si fier de ses vertus laborieuses et civiques. Ruser avec elles, c’est manquer de respect à soi-même. C’est troubler l’image que nous nous faisons de nous-mêmes.
Les plaideurs du statu quo n’aiment pas que l’on cite des cas particuliers. Le champion de tennis Tsonga est cajolé par le fisc, alors que son collègue vaudois et voisin Wawrinka ne l’est pas. Normal, nous dit-on. Vraiment?
L’un des hommes les plus riches d’Europe, Ingvar Kamprad (fortune estimée à 42 milliards de francs), a vécu trente-sept ans à Epalinges. Il ne payait que 165 000 francs d’impôts. Normal encore? Au passage, qui peut croire que l’austère Suédois n’ait pas travaillé pendant tout ce temps? Mais le monsieur était généreux, rabâche-t-on: lui, si près de ses sous, a néanmoins lâché, vers la fin, une dizaine de millions à une fondation, trois à Pro Senectute et un demi à l’ECAL. Ce qui lui a valu des tartines de félicitations émues dans la presse locale. Ces dons, c’est en proportion à peu près ce que les passants au grand cœur glissent dans la sébile des mendiants. Depuis quand les citoyens versent-ils leur dû à la communauté selon leurs lubies? L’Etat vous a-t-il jamais envoyé une lettre de remerciements après le règlement de votre impôt? A noter que le syndic de sa commune affirme que son récent départ passera à peu près inaperçu dans les comptes.
Et les oligarques de l’est? On ne doit pas en parler non plus? La journaliste Christine Ockrent constate dans son récent livre sur ces messieurs que la plupart trônent en Suisse. A quelles conditions fiscales? Mystère. Mais le gentil forfait est taillé pour eux. Veut-on vraiment nous faire croire que notre économie s’effondrerait si quelques-uns s’en allaient? C’est la diffamer.
D’ailleurs, tous ces gâtions du fisc ne partiraient pas, contrairement à ce que veulent faire croire les projections chiffrées. Beaucoup aiment vraiment nos rivages et montagnes. Malte, Chypre, le Portugal, c’est beau, mais de là à y vivre… Quant à Londres et Bruxelles, pour la piscine dans le jardin, ce n’est pas idéal.
Qu’une armada d’avocats, de conseillers et d’agents immobiliers ferraille pour garder cette clientèle, on comprend. Que les conseillers d’Etat qui négocient avec les nababs se sentent flattés par ce pouvoir, cela se conçoit. Mais, pour le commun des mortels, il n’y a aucune raison de maintenir cette bizarrerie fiscale que tôt ou tard nous devrons abolir, comme l’a été le secret bancaire international dans les hauts cris des mêmes cercles. Parce qu’elle insulte des pays partenaires. Parce qu’elle choque le fondement même de la démocratie: l’équité.
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