Dette publique insoutenable, emploi en berne, banques toujours plus fragilisées, populisme exacerbé: les pays de la zone euro risquent d’être sérieusement secoués en 2014.
La crise continuera de sévir dans la zone euro en 2014. Elle sera d’autant plus profonde que les mesures de consolidation budgétaire adoptées par nombre de ses Etats membres y feront augmenter le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut (PIB), induisant alors davantage d’austérité sans aucune possibilité de sortir de la crise par ce biais. Cette spirale perverse et douloureuse pour une grande partie de la population de ces pays sera aggravée, dans la mesure où les pays ne respectant pas les critères imposés par le pacte budgétaire européen devront réduire plus rapidement leur dette par rapport au PIB.
Or, dans un contexte où les taux d’inflation sont très bas, voire proches de la déflation, la soutenabilité de la dette publique exige des taux de croissance du PIB impossibles à atteindre par les pays concernés. En effet, afin d’éviter une hausse de la dette publique, il faudrait dégager des excédents primaires (avant le paiement des intérêts sur cette dette) qui atteignent au moins 5% du PIB pendant plusieurs années. Toutefois, depuis la fin des années 60, exception faite de la Norvège (grâce à ses exportations de pétrole), aucun pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques n’a pu afficher de tels excédents.
Pression sur l’emploi. Qui plus est, les mesures d’austérité mises en œuvre simultanément dans la zone euro diminuent le commerce international au sein de cette zone car elles réduisent le volume de la demande sur le marché des produits. Cela aura des effets négatifs sur le niveau de l’emploi dans l’ensemble de la zone euro, y compris donc l’Allemagne, aussi parce que l’économie états-unienne n’est pas encore véritablement rétablie en l’état et que les pays émergents ralentissent leur rythme de croissance économique.
Dans ce cadre très fragile et incertain, les réformes structurelles sur le marché du travail prônées par la plupart des gouvernements dans la zone euro avec l’appui des milieux d’affaires vont réduire le pouvoir d’achat de beaucoup de travailleurs peu ou moyennement qualifiés, déprimant ainsi davantage la demande globale et dès lors les recettes fiscales, exerçant par conséquent une pression à la hausse sur les dépenses de protection sociale au sein de la zone euro.
Risque de panique bancaire. Ce scénario de crise profonde et prolongée à travers la zone euro n’ira pas sans inquiéter les institutions financières européennes déjà très fragilisées à la suite de la crise globale ayant éclaté après la mise en faillite aux Etats-Unis de la banque d’affaires Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Les banques, notamment allemandes ou françaises, dont le niveau de fonds propres reste largement insuffisant par rapport aux risques hébergés au sein de leurs institutions, continueront à exiger des taux d’intérêt excessifs pour financer les investissements que les entreprises pourraient vouloir effectuer. Celles-ci d’ailleurs ne seront pas amenées à investir pour produire davantage, si leurs perspectives de vente sont revues à la baisse au vu des taux de chômage inquiétants à travers la zone euro et surtout dans sa périphérie méditerranéenne.
A cela s’ajoutera la pression ressentie par les banques d’importance systémique au sein de la zone euro lorsque la Banque centrale européenne (BCE) aura évalué officiellement la qualité de leurs actifs et la solidité de leurs bilans, demandant vraisemblablement à une partie d’entre elles d’augmenter les fonds propres afin de réduire les risques systémiques.
La divulgation de l’ampleur de ces recapitalisations pourrait susciter des sentiments de panique auprès des déposants de ces banques, qui seraient donc amenés à se ruer vers les guichets afin de retirer (ce qui reste de) leurs dépôts, d’autant plus rapidement que les taux d’intérêt sur le marché interbancaire augmentent, à la suite du besoin accru de fonds propres dans ces banques. La politique monétaire de la BCE, déjà très accommodante, ne pourrait alors (plus) rien faire à cet égard, étant donné qu’elle a déjà pratiquement atteint le plancher des taux d’intérêt directeurs et que toute autre mesure d’assouplissement quantitatif serait sans doute vivement contestée par les milieux europhobes au sein de l’Union européenne (UE).
Tensions sécessionnistes. Devant la montée des populismes et des nationalismes à travers l’UE, à l’instar du parti d’extrême droite en Grèce et de l’alliance annoncée entre le Front national en France et le parti de Geert Wilders aux Pays-Bas en vue des élections au Parlement européen de mai 2014, il deviendrait alors pratiquement impossible d’éviter une nouvelle apparition de tensions sécessionnistes au sein de la zone euro.
Ces tensions seraient aussi nourries par le mouvement politique Alternative für Deutschland, qui obtiendrait davantage de consensus populaire pour atteindre son objectif de réintroduire le Deutsche Mark et amener ainsi l’Allemagne à quitter la zone euro: une telle initiative serait une grave erreur pour le sort de sa propre économie, à commencer par son secteur financier qui reste imbriqué avec les pays débiteurs au sein de la zone euro, indépendamment de l’évolution future du solde de la balance des transactions courantes de l’Allemagne. Les exportations de produits allemands seraient d’ailleurs aussi réduites de manière considérable après la réintroduction du nouveau Deutsche Mark, dont le taux de change se situerait de toute manière à un niveau beaucoup plus élevé que celui autour duquel évoluera l’euro dans les prochaines années.
Menaces d’une crise globale. Sur le plan institutionnel, les réticences allemandes face au projet d’union bancaire et à son mécanisme de résolution des banques insolvables en cas de crise pourraient susciter des appréhensions auprès des acteurs financiers, ou les amener à vouloir tester le niveau de résistance des banques problématiques avant la mise en œuvre de l’union bancaire. Il en résulterait alors une aggravation des problèmes concernant à la fois les banques et les Etats membres de la zone euro dont la liaison dangereuse à travers le marché de la dette publique ferait éclater une crise globale encore pire que celle déclenchée par la mise en faillite de Lehman Brothers. Les difficultés financières des gouvernements nationaux au sein de la zone euro seraient ainsi exacerbées, empêchant donc une nouvelle intervention des pouvoirs publics pour sauver les (trop nombreuses) banques européennes menacées de faillite dans un tel cas de figure.
La Suisse sur ses gardes. Somme toute, la crise de la zone euro pourrait s’aggraver en 2014 si les politiques mises en œuvre après son éclatement ne sont pas amenées à changer radicalement – à la suite des défauts de paiement de quelques débiteurs souverains «trop grands pour faire faillite». En l’état, la zone euro va donc commencer une nouvelle année de sa décennie perdue et ne laisse rien augurer de bon pour l’ensemble de l’économie européenne. La Suisse doit dès lors rester vigilante et ne pas avoir hâte de célébrer la prochaine Saint-Sylvestre car, sur le plan économique, 2014 ne sera vraisemblablement pas meilleure que l’année passée.
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Sergio Rossi
Né à Bellinzone en 1967, Sergio Rossi est titulaire de la chaire de macroéconomie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg depuis 2005. Il est l’auteur de nombreux livres et articles dans des revues scientifiques.
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