Ce vendredi 17 janvier 2014 devant la presse débarquée en nombre à Sion, ils sont venus, ils sont tous là, dès qu’ils ont entendu ce cri dans tout le Valais: dites-nous la vérité, toute la vérité, rien que la vérité sur les affaires qui secouent le canton! L’affaire de l’encaveur Dominique Giroud, suspecté d’avoir dissimulé 13 millions de francs au fisc, dont Maurice Tornay, le président PDC du gouvernement valaisan, fut le réviseur des comptes durant une décennie; l’affaire de la commune de Leytron, qui dénonce les manquements de l’Etat du Valais dans la gestion du dossier fiscal du contribuable Jean-Marie Cleusix, chef du Service de l’enseignement; l’affaire de l’Hôpital du Valais, dont le chef du département de chirurgie, Vincent Bettschart, qui démissionnera dix jours plus tard, est contesté. Un départ qui a entraîné, deux semaines plus tard, celui de Daniel Fishman, patron des urgences.
Comme aurait pu le chanter Charles Aznavour, ils sont venus, ils sont tous là, les conseillers d’Etat au grand complet. Un événement. Y a le pathétique démocrate-chrétien Maurice Tornay, qui plaide non coupable; le volubile Jean-Michel Cina, qui traduit en allemand la défense de son compagnon d’armes; le loyal Jacques Melly, troisième PDC, qui se fait plutôt discret; la socialiste Esther Waeber-Kalbermatten, muette comme une carpe, qui se demande bien ce qu’elle fait là. Y a même Oskar (Freysinger, pour les non-initiés), le fils maudit et pourtant si populaire, avec des formules chocs style UDC plein les bras.
Par la barbichette. A l’issue de cette conférence historique, dans le train qui les conduit à Berne pour une séance commune, Esther fait part à Oskar de son grand malaise. Et ce dernier de la rassurer: «Quand tes cadavres du réseau santé vont sortir, tu seras aussi contente de nous voir assis à tes côtés.» Je te tiens par la barbichette. Freysinger le tribun, l’atypique, le rebelle, semble avoir parfaitement assimilé les ingrédients de la cuisine politique valaisanne. Mais cela ne l’empêche pas de croire qu’il nage encore bien au-dessus de la mêlée, lui que les Valaisans ont élu largement en tête au deuxième tour des élections au Conseil d’Etat, le 1er mai 2013. Se parlant à lui-même, il s’exclame au moment où il est question des conseils d’administration de son collègue Maurice Tornay: «Putain, la vie est dure. Heureusement que je ne suis pas dans les affaires.»
Chapitre 1
L’emblématique affaire Giroud
De toutes les affaires, précisément, la plus exemplaire, la plus révélatrice du dessous des cartes valaisannes est celle concernant Dominique Giroud. Depuis un communiqué diffusé le 23 décembre 2013, dans lequel il «appelle à plus de retenue», l’encaveur ne fait plus le moindre commentaire sur sa situation. Et ceux qui le connaissent bien ne veulent surtout pas être cités ni re-connus. Il y a un petit air d’omerta corse qui souffle sur ce canton méridional. Sauf que les nuits souvent blanches n’y sont jamais bleues. Dieu soit loué. Et dans le Valais, Dieu, ce n’est pas rien.
Quand, dans la pénombre, quelques langues se délient, c’est pour se demander comment Dominique Giroud a pu ériger son petit empire dédié à Bacchus, fort de quelque 80 collaborateurs et d’un chiffre d’affaires estimé à 50 millions de francs, environ 10 millions de moins que le numéro un du canton, Provins Valais. Le siège de Giroud Vins, œuvre de l’architecte Hansruedi von Rickenbach, notamment reconnaissable par sa tour de 18 m 50, d’un style médiéval avec un revêtement en granit du Simplon et un bandeau en bois de mélèze, surplombe la capitale valaisanne. Selon Bilan, l’immeuble aurait coûté environ 15 millions, chiffre jamais démenti depuis 2011. En plus de son siège, le groupe comprend notamment Cave des Combins à Sion, la cave Albert Biollaz à Chamoson et les somptueux magasins Wine Universe, qui offrent une sélection de plus de 1000 vins suisses et étrangers à Lausanne, Genève et même Singapour.
Dominique Giroud suscite à la fois l’admiration, la jalousie et la méfiance des Valaisans. On ressent de l’admiration pour cet homme hyperactif, à l’imagination débordante, cet as de la viniculture et du marketing. Né en 1971, originaire de Chamoson, il commence très tôt à faire du vin dans des tonneaux en plastique au fond de son garage, avant de se former sérieusement à l’œnologie et de fonder, avec son père, François, les vins F & D Giroud. Il a alors 21 ans. C’est le début d’une fulgurante ascension. Il sait s’entourer d’hommes de confiance, qui lui ouvrent les portes des banques – notamment celles de Credit Suisse –, d’un directeur général meneur d’équipe et chef des ventes (Didier Baert, aujourd’hui hors de la société), d’un directeur financier (Alphonse Ebiner) et d’un directeur commercial (Claude Dizerens). C’est avec ce dernier qu’il fonde The Restaurant & Wine Bar by Wine Universe en août 2009 à Singapour.
Gestion solitaire. Mais, malgré son entourage professionnel, Dominique Giroud demeure un soliste dans l’âme qui aime bien faire tout, tout seul, tout le temps. Et, dans son domaine, il est un soliste talentueux. Il collectionne les médailles et les récompenses dans les concours viticoles internationaux (Meilleure cave de Suisse en 2004). Il est le premier à payer cash ses fournisseurs à la vendange et non en trois versements selon la tradition, ce qui lui permet d’accéder le premier aux meilleures vignes. Des encaveurs comme Provins Valais, Robert Gilliard, que préside le président du PDC suisse Christophe Darbellay, et bien d’autres, vont suivre la tendance. Dominique Giroud s’est sans doute enrichi principalement en vidant les caves du canton de leurs surplus. Fin spéculateur, il a très vite appris qu’en stockant ces derniers chez lui avant de les vendre en vrac à de gros distributeurs comme Denner ou Coop quand le marché est le plus demandeur, il impose ses prix et gagne le jackpot. Parallèlement, fort de ses 50 hectares de vignes, il propose les meilleurs crus en faible quantité. Bingo sur tous les tableaux.
Avec ses parrainages sportifs, notamment celui du HC Bienne, HC Sion, FC La Chaux-de-Fonds et du Lausanne Hockey Club – ce dernier ayant provoqué des soupirs de dépit chez les Vaudois –, Dominique Giroud a encore accru sa visibilité. Et, par ricochet, suscité une méfiance accrue parmi ceux qui ne comprennent toujours pas comment il s’est enrichi. Encouragé par son professeur de musique à fréquenter la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, avec son célèbre séminaire à Ecône, il horripile une bonne partie des Valaisans, peu sensibles aux thèses de Mgr Lefebvre.
Comment cet homme réputé rigoureux en affaires s’est-il ainsi fourvoyé dans une affaire de soustraction fiscale (voire pire) qui n’était finalement pas très compliquée à déceler? Bref rappel des faits révélés à la presse par de savantes fuites: après que le Service cantonal des contributions (SCC) a examiné, en 2003 et 2006, les comptes de la société Giroud sans rien détecter d’illicite, l’organe fédéral de contrôle de la TVA met au jour une anomalie à l’occasion d’un contrôle inopiné. Alerté, le chef du SCC avertit la Division des affaires pénales de l’Administration fédérale des contributions (AFC). Ce qui fait dire aujourd’hui à l’avocat Léonard Bender, candidat radical malheureux au Conseil d’Etat: «Comme patriote, j’aurais préféré que ce fût le fisc valaisan qui soulevât le lièvre, cela aurait été une marque de bon fonctionnement de nos institutions.» Quant à Dominique Giroud, a-t-il sous-estimé le fait que le fisc fédéral pouvait être un tantinet plus efficace que le fisc cantonal?
Les casseroles s’empilent. La machine judiciaire est donc lancée. Le 31 août 2011, dès 7 heures tapant, des agents fédéraux débarquent dans les locaux de Giroud Vins et de sa fiduciaire Alpes Audit, que Maurice Tornay a dirigée de 1989 à 2009. L’enquête fédérale, qui prend fin en août 2013, révèle que la société Torcularia, holding de Giroud Vins à Zoug, détient des sommes non déclarées reçues d’une société écran sise aux îles Vierges. Dominique Giroud se prêterait ainsi de l’argent à lui-même, ou plutôt à son épouse. Quant à la société Torcularia, elle est gérée par l’ex-président du Conseil national Peter Hess, un démocrate-chrétien. On reste en famille.
Aux yeux de maints Valaisans en qui sommeille la mémoire du contrebandier et faux-monnayeur Farinet, frauder le fisc, c’est bien moins grave que trafiquer du vin. Or, en plus d’être soupçonné de faux dans les titres avec intention de tromper le fisc, Dominique Giroud fait l’objet depuis 2009, apprend-on fin 2013, d’une instruction pénale pour escroquerie, falsification de marchandises et faux dans les titres. Il lui est reproché d’avoir vendu du fendant dans des bouteilles étiquetées comme du Saint-Saphorin. Dans cette même localité du canton de Vaud, la société Vins Dufaux, aux mains de Dominique Giroud, qui écoulait des vins vaudois, a tout récemment été mise en liquidation. Comme par hasard. A la justice de trancher. Désormais, l’affaire Giroud est instruite par le Ministère public vaudois, pour des questions de procédure. Pour couronner le tout, la RTS a révélé le 21 janvier que le Contrôle suisse du commerce des vins reprochait à l’encaveur valaisan d’avoir coupé illicitement plus de 350 000 litres de vin entre 2006 et 2009. Dominique Giroud a systématiquement régularisé la situation et s’est acquitté d’amendes modiques. Il n’empêche que les chimistes cantonaux contactés s’étonnent qu’aucune plainte administrative ou pénale n’ait été déposée. Politiquement, le cas Giroud annonce des temps nouveaux pour le Valais.
Chapitre 2
Fin de règne pour le PDC valaisan
«Avoir osé désigner Maurice Tornay chef des Finances, il fallait oser. Le PDC l’a fait.» La volée de bois vert est signée Stéphane Riand sur L’1dex, un blog que cet avocat valaisan en ébullition permanente a fondé le 1er mai 2011 «pour libérer la parole dans le Valais». Stéphane Riand reproche à Maurice Tornay, successeur de cet autre PDC Jean-Marie Fournier, d’avoir «revendiqué et obtenu le Département des finances» alors que, pendant vingt ans à la tête de sa fiduciaire Alpes Audit, il a tout naturellement «cherché à réduire les bénéfices fiscaux nets de ses clients et à limiter ainsi le train de vie de l’Etat».
Au cours de la fameuse conférence de presse du 17 janvier, le Conseil d’Etat a mis Maurice Tornay hors de cause, estimant que, dans l’ensemble, tout s’était déroulé correctement dans les dossiers fiscaux contestés concernant l’affaire Giroud et aussi la commune de Leytron. Les autorités de cette commune valaisanne réclament à Jean-Marie Cleusix, haut fonctionnaire de l’Etat du Valais, 78 500 francs d’impôts perdus en raison de la prescription, le Conseil d’Etat déplorant «une erreur de classement» (lire ci-dessous «Oskar Freysinger, ça passe ou ça casse »).
Très vite, la presse a fait référence à une affaire Giroud-Tornay, comme si le conseiller d’Etat était personnellement partie prenante dans le scandale. «Personne ne l’attaque sur sa probité, souligne l’avocat Léonard Bender. On attaque le magistrat, le ministre des Finances qui doit veiller aux intérêts financiers publics.» Il ne l’a visiblement pas fait en oubliant d’informer le gouvernement en 2011 de la situation fort délicate dans laquelle il se trouvait, en ne se récusant pas immédiatement pour éviter tout conflit d’intérêts et en ne passant pas le relais à l’un de ses collègues du gouvernement. Au travers du magistrat, qui au moins a reconnu avoir communiqué comme un manche, tout un système est montré du doigt: celui d’un PDC dominant durant un siècle et demi, qui aujourd’hui ne l’est plus, mais qui fait encore comme s’il l’était.
Echecs électoraux. Depuis quelques années, le PDC valaisan perd des plumes aux élections. En avril 2008, coup de théâtre, le libéral-radical Marcel Maurer prend la présidence de Sion, détenue depuis cent soixante ans par le PDC. A Sierre, même scénario, le libéral-radical François Genoud évince le président sortant PDC. Cinq ans plus tard, en mars 2013, nouveau coup de théâtre à l’élection du Conseil d’Etat: l’UDC Oskar Freysinger et la sortante socialiste Esther Waeber-Kalbermatten devancent les trois démocrates-chrétiens Jean-Michel Cina, Jacques Melly et Maurice Tornay.
Autre chamboulement: après trois quarts de siècle de présence, le PLR, qui a présenté Léonard Bender, est éjecté de l’exécutif au profit de l’UDC. Ce qui navre de manière assez inattendue le jeune et dynamique conseiller municipal PDC de Sion Vincent Pellissier, qui regrette que le radicalisme historique perde ainsi pied. «Il aurait peut-être été préférable que ce soit le PDC qui ait un conseiller d’Etat en moins. Tout le monde se cherche aujourd’hui», lance-t-il. Qui plus est, au Grand Conseil valaisan, les démocrates-chrétiens n’ont plus la majorité absolue. Une page s’est tournée, comme cela s’est passé ailleurs en Suisse, notamment à Fribourg.
L’époque où le PDC répartissait les charges, planifiait les promotions de ses membres tout en maintenant l’unité du canton est sans doute révolue. S’il n’y avait qu’un seul PDC, ce serait relativement simple. Mais il y en a autant que de parties du Valais: celui du haut, du centre et du bas, sans compter les chrétiens sociaux qui, en 2005, ont quitté le parti dominant pour rejoindre le centre gauche PCS. Avant les élections de 2013, les chrétiens démocrates plutôt conservateurs et les chrétiens sociaux plutôt progressistes du haut, respectivement qualifiés de «Noirs» et de «Jaunes», tissaient en permanence des alliances de circonstance avec les PDC du centre et du bas, accompagnées de pression, voire de chantage pour arriver à leurs fins. Dans le Haut-Valais notamment, on discutait des projets, on s’étripait, on se lançait des attaques personnelles mais, à la fin, le vote ethnique groupé finissait par l’emporter.
Nouvelles alliances. Depuis que le PDC n’a plus la majorité absolue au Parlement, la cuisine exclusivement démocrate-chrétienne a perdu de sa saveur. De nouvelles alliances s’imposent. Il faut désormais compter avec le piment UDC qui a fait des étincelles, surtout dans le haut du canton sous la houlette d’Oskar Freysinger. L’UDC y a agi comme dans les cantons catholiques d’Obwald et de Suisse orientale. Elle s’est présentée comme l’authentique parti conservateur en adoptant un discours, notamment sur la famille, qui était celui du PDC dans les années 60 mais que les nouvelles élites centristes ont abandonné.
Chapitre 3
Le pouvoir quitte les communes
La perte d’influence du PDC valaisan est aussi à mettre en relation avec une recomposition du paysage démographique et sociologique du canton, dont la population globale est passée en quinze ans de 275 000 à 315 000 habitants. Depuis 2000, si Brigue, Viège et Naters, dans le Haut-Valais, enregistrent encore une croissance modérée de la population, les communes de montagne se vident. Parallèlement, les grandes régions urbaines du canton, incarnées par Sion, Sierre, Martigny et Monthey, connaissent une progression démographique fulgurante. Les vallées se dépeuplent au profit de la plaine. A la faveur d’un canton devenu périurbain, les villes prennent plus de poids en regard des communes de montagne qui ont traditionnellement gouverné le canton. Du coup, les mentalités s’ouvrent dans les zones les plus denses du Valais romand.
Par ailleurs, longtemps maître à bord, le président de commune n’a plus la maîtrise de problèmes qui le dépassent, que ce soit dans l’aménagement du territoire, les transports, l’énergie ou l’environnement. Le débat nourri autour du retour des concessions hydrauliques est révélateur. Le canton devra prendre sa part et trancher pour éviter une foire d’empoigne, au-dessus des communes, notamment celles du Haut-Valais qui disposent de 50% de la force hydraulique.
Faible gouvernance. Quant au développement touristique, il a été abandonné au bon vouloir des promoteurs, agents immobiliers et aménagistes, avec la complicité bienveillante des communes. Ce qui a conduit à des exagérations dans le bétonnage. Une réflexion impliquant communes et canton sur l’aménagement du territoire aurait sans doute été bienvenue. Dès lors, l’initiative Franz Weber «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires», acceptée par le peuple et les cantons le 12 mars 2012, a profondément traumatisé le Valais. «Nous ne l’avons pas vue venir», se reprochent aujourd’hui maints responsables politiques de tous bords. Même constat amer à propos de la révision de la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) validée en mars 2013 par tous les cantons à l’exception du Valais. C’est l’aveu collectif d’une gouvernance cantonale trop faible, peu visionnaire et fort éloignée des préoccupations du pays dans son ensemble. Dans sa nouvelle donne politique, le Valais aurait-t-il pris le taureau par les cornes?
Chapitre 4
Oskar Freysinger, ça passe ou ça casse
«Pascal Couchepin a entrepris une croisade contre les forces obscures. A ses yeux, je suis Dark Vador. Lui est un Jedi.» Tout en dégustant sa soupe de poissons dans un restaurant sédunois, Oskar Freysinger soutient que l’ex-conseiller fédéral libéral-radical est à l’origine de toutes ces révélations qui ont agité le canton. Dans la presse, ce dernier s’est ironiquement dit «flatté» qu’on lui attribue un tel pouvoir avant d’affirmer clairement qu’il n’y était pour rien. Et le conseiller d’Etat en charge de la Formation et de la Sécurité de déplorer ses conditions de travail ces six derniers mois. «A ma place, un autre aurait pété les plombs. Mais on rigole», lance-t-il, souriant, à son chargé de communication Slobodan Despot. Celui-ci, éditeur de la place et écrivain, estime que les Valaisans «doivent apprendre le pluralisme qui n’a jamais existé depuis les révolutions nationales de 1848». Il observe avec lucidité que «les catholiques, qui ont une mentalité très traditionaliste, se sentent spirituellement peu soutenus par leur évêque et politiquement pas du tout par leur parti, le PDC. C’est pourquoi ils ont massivement voté pour Oskar Freysinger.»
Voilà bien toute l’ambiguïté: l’homme à la queue de cheval a été littéralement plébiscité par les Valaisans – notamment ceux du haut, avec lesquels il s’exprime en dialecte – pour secouer le vieux cocotier valaisan. Il a bénéficié d’un vote de protestation, comme Peter Bodenmann, devenu en 1997 le premier conseiller d’Etat socialiste du Valais. Mais la révolution de Freysinger s’inscrit dans la pure tradition. «Quand les eaux se seront calmées, dit-il, je vais m’attacher à la loi fondamentale dans l’enseignement. Et rappeler mon opposition aux modernismes qui sont des barbarismes. Je veux que l’école soit un vecteur majeur dans la construction de l’individu,qui sera la pierre angulaire de la construction de l’Etat.» Par ailleurs, lui qui n’hésite pas à cumuler les mandats et les indemnités (il est toujours conseiller national) a montré qu’il se délectait de naviguer dans la jungle de la politique.
Face à la réalité. Au-delà des grands principes, il y a la réalité. Celle d’une école qui doit économiser 5 millions de francs dans un Etat du Valais condamné à épargner 30,2 millions. La tâche est aussi ardue qu’impopulaire. La réalité, c’est aussi un chef du Service de l’enseignement, Jean-Marie Cleusix, à qui les autorités de la commune de Leytron ont reproché d’échapper à l’impôt de 1995 à 1998 en raison de la prescription et d’une défaillance de la Commission cantonale de recours (CRC) en matière fiscale. A ce propos, Marylène Volpi Fournier, députée au Grand Conseil (Les Verts), relève que le secrétaire de cette CRC, occupé à 50%, doit gérer une bonne centaine de dossiers par an. Le manque de personnel, c’est une autre réalité, rarement mentionnée!
Quel que soit le degré de popularité de son subordonné Jean-Marie Cleusix, Oskar Freysinger le soutiendra mordicus. Plutôt bien apprécié dans son autre département, celui de la Sécurité, toujours dirigé par le commandant de la police Christian Varone, le bouillant et incontrôlable conseiller d’Etat fera-t-il long feu, comme Peter Bodenmann, contraint à la démission deux ans seulement après son élection à la suite d’une affaire privée? Rien n’est moins sûr. L’homme est habile et a les reins solides.
Chapitre 5
Le Valais nouveau est (peut-être) arrivé
Dans son bureau en plein centre de Martigny, Pascal Couchepin est moins catégorique, mais il affiche néanmoins la sérénité d’un vieux sage: «Le canton devient un pays mature politiquement, dans lequel des débats peuvent avoir lieu sans qu’un parti majoritaire ou des notables aient la prétention d’exprimer l’âme réelle du Valais.» Les réseaux sociaux désormais omniprésents et la chaîne de télévision Canal 9, invitant quotidiennement tous les acteurs de la vie politique et économique dans les foyers valaisans, ont bousculé les habitudes et fait contrepoids au Nouvelliste. Longtemps considéré comme la voix de son maître, le PDC, de manière parfois injuste, le quotidien valaisan s’offre une cure de renouveau et d’impertinence avec Sandra Jean, directrice des rédactions, et surtout Vincent Fragnière, l’animateur vedette de Canal 9. A voir.
Le canton va-t-il pour autant sortir de «l’imbrication permanente de l’économie et de la politique» et du «régionalisme exacerbé» que dénonce le conseiller national socialiste Stéphane Rossini? «Il faut dépolitiser et désétatiser le Valais et en même temps libéraliser son économie.» C’est étonnamment l’ex-conseiller national socialiste et ancien patron de La Poste Jean-Noël Rey qui l’affirme. Et ce dernier d’ajouter: «Quand je crée une entreprise à Zurich, je vais à la banque poser mon business plan et cherche des investisseurs. Ensuite, je me rends éventuellement à la promotion économique. En Valais, l’auteur d’un projet se rend d’abord au Conseil d’Etat.» Puis, sans doute, à la Banque cantonale du Valais. En fait, une économie prospère va de pair avec une gouvernance forte qui donne un cadre d’action acceptable par tous et pose des limites. Pour éviter par exemple à l’avenir les pollutions industrielles au mercure qui empoisonnent les sols valaisans pour des décennies.
Vaste tissu industriel. Si les multinationales Alcan, Lonza et Novartis occupent la moitié de la main-d’œuvre industrielle du canton, les neuf dixièmes des entreprises sont des PME avec moins de 100 collaborateurs. Des sociétés comme Studer Innotec (convertisseurs solaires), Gotec (pompes de précision), Mimotec (microtechnique) ou Energie solaire SA incarnent le nouveau vivier d’un canton qui se sent pousser des ailes ventilées par une HES en plein développement et une EPFL attendue avec grande impatience. Seul gros bémol: la décision de la Commission européenne d’exclure la Suisse des accords sur la recherche avec Horizon 2020 et de la mobilité des étudiants avec Erasmus, après le oui des Suisses à l’initiative «Contre l’immigration de masse», pourrait compromettre l’épanouissement de ces deux institutions.
Si les projets économiques et sociaux ne manquent pas, ils sont souvent l’objet de polémiques sans fin. C’est le cas de la nouvelle loi cantonale sur le tourisme adoptée par le Parlement en novembre 2008, avant d’être balayée par référendum et toujours en discussion dans une énième mouture. La loi sur les hôpitaux subit un sort analogue. Quant à la révision de la Constitution, refusée par le Parlement en septembre 2005, elle est remise sur le métier. La semaine passée, le Tribunal fédéral a jugé anticonstitutionnel le mode d’élection du Grand Conseil valaisan. Il exige une modification dès les prochains scrutins en 2017. L’élection par district, qui ne permettait pas à un parti recueillant 33% des suffrages d’avoir droit à un élu, c’est fini. La refonte, voire la fin des districts, est programmée. Il s’agit d’un revers pour le PDC qui profitait de cette situation et d’une victoire pour l’UDC et les partis de gauche, auteurs de l’initiative «Chaque voix compte». Les premiers bourgeons du printemps valaisan éclosent.
Nouvelle conscience. Tous ces programmes d’envergure – tourisme, santé, aéroport de Sion, etc. – devraient être traités dans «un esprit d’ouverture, de transparence et non partisan». C’est le souhait de Jean-Marie Bornet, chef information et prévention de la police cantonale, qui s’exprime à titre personnel. Et plaide en faveur de «listes ouvertes avec des représentations hommes-femmes» lors des assemblées générales des partis. Veut-il fonder un nouveau mouvement dans la perspective des élections de 2017? Il s’agit plutôt à ses yeux d’un «nouvel état d’esprit» à cultiver.
Dans cette démarche s’inscrit aussi le physicien Philip Koenig, ancien cadre chez Caterpillar et fondateur du think tank Valais 2020. Son objectif: «Gérer le Valais comme une entreprise du XXIe siècle, avec des visionnaires, des développeurs et des exécutants chargés de l’opérationnel.» A ses yeux, les représentants de tous les partis pourraient fort bien «travailler ensemble, en inter-connexion» sur des dossiers sensibles.
Montagnards dans l’âme, les Valaisans pourraient peut-être s’inspirer de cette parole de Charles de Gaulle, cité par André Malraux: «Quand tout va mal et que vous cherchez votre décision, regardez vers les sommets. Il n’y a pas d’encombrement.»
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