Vous n’en êtes pas encore revenu, de l’efficacité des transports zurichois, avec leur réseau de trains régionaux, adossé à une gare souterraine côté Musée national. Et en voilà une de plus. A seize mètres sous la Löwenstrasse. Ouverture le 15 juin.
Belle leçon. Au début, les CFF voulaient compléter ces lignes par une extension de surface. Un homme et une femme ont imposé une vision plus audacieuse. Gabi Petri, dirigeante de l’ATE (VCS), association écolo vouée aux transports. Et Paul Stopper, planificateur de la ville. Ils surent mobiliser toutes les forces politiques, faire accepter leur projet par 82% des citoyens consultés par voie d’initiative. Et tout fut mené avec une énergie qui a de quoi époustoufler les Romands. Cornavin rénovée, la promesse du CEVA, c’est bien, mais la comparaison reste cruelle.
Performance financière et technique. Le coût de 2 milliards, fixé en 2008, a été respecté et les deux tiers payés par la Confédération grâce à d’habiles calculs. Le délai de construction tenu aussi: sept ans. De quoi faire pâlir même les Allemands empêtrés dans les retards et les dépassements budgétaires de la gare de Stuttgart et de l’aéroport de Berlin-Brandebourg.
Les lignes en provenance d’Altstetten fileront vers Oerlikon et l’aéroport à travers un tunnel de cinq kilomètres, sous la Limmat, sous l’Ecole polytechnique fédérale. Et dans la foulée, un nouveau quartier souterrain surgira: 45 boutiques qui s’ajouteront aux 135 déjà existantes. Ce sera «un shopping-center avec sa propre gare». Sans parler du bazar qui s’ouvrira à Oerlikon.
Dès 2015, ce tracé permettra aux convois Genève-Saint-Gall de prolonger leur route sans manœuvrer dans le cul-de-sac de Zurich. Une petite révolution. Pendant 147 ans, le voyage a buté sur les plots d’une voie sans issue. Il fallait repartir dans l’autre sens. Dans la symbolique, à l’image de Paris ou de Milan, la métropole suisse se posait ainsi en destination finale. Pourquoi continuer le voyage après un si prestigieux terminus!
Il est vrai que dans la culture ferroviaire helvétique, on ne se préoccupe pas trop des artères internationales. A l’exception de l’axe mythique du Gothard bien sûr. Aujourd’hui, il faut quatre heures pour atteindre Munich, à 242 kilomètres à vol d’oiseau. Les Suisses n’ont guère poussé les Allemands à faire mieux. Grâce à la nouvelle ligne TGV Mulhouse-Belfort en revanche, quatre heures aussi pour rejoindre Paris (deux fois plus loin). Dont près d’une heure pour parcourir les 74 kilomètres jusqu’à Bâle: pas brillant.
En Suisse romande, la ligne du Simplon est délaissée. Il y a peu, le directeur des CFF exhibait une carte illustrant l’insertion ferroviaire de la Suisse en Europe. Le parcours Paris-Vallorbe-Lausanne-Brigue-Domodossola n’y figurait tout simplement pas. Le trajet le plus court de Paris à Milan par Vallorbe ou Genève est plus lent que via Bâle, tant les correspondances romandes sont médiocres.
La merveille zurichoise du jour, avec ses nouveaux quais, ses galeries marchandes et son beau tunnel, ne s’adresse pas aux arpenteurs de long cours mais d’abord aux pendulaires. Avec plus de fréquences, plus de places et des minutes grignotées ci et là. On comptera bientôt un demi-million de passagers par jour en ces lieux.
Les gares font rêver. De départs, de retours, de passages, de rencontres, de moments suspendus, de petites fringales. La dimension mythologique de celle-ci s’amplifie avec ses nouvelles allées dans les entrailles de la ville.
Dans un beau texte (NZZ am Sonntag), l’écrivain Alex Capus dit son émoi devant la majesté du monument historique avec ses hautes travées, ses espaces généreux. A l’époque, relève-t-il, on ne visait pas seulement l’utilité mais on voulait bâtir «un temple de la foi dans l’avenir».
L’agile esprit d’Olten ne cache pas son réflexe de provincial. Il trouve que les gens, à Zurich, sont «sensiblement plus jolis que la moyenne suisse», les costumes mieux ajustés, les dents mieux alignées et les manières plus polies…
Cette cité sûre d’elle lui inspire aussi des craintes. Dans les villes voisines, les lieux de divertissement et de culture souffrent: Zurich aimante les jeunes.
C’est la carte mentale des Suisses qui peu à peu se transforme. Ils voient se renforcer un pôle urbain qui pèse toujours plus lourd. Jusqu’à jeter, comme souvent dans l’histoire, pas mal de désarroi dans le reste du pays.
