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La chronique de Jacques Pilet: contre la panne d’envie

Jeudi, 18 Septembre, 2014 - 05:57

La relance! la relance! Refrain des réunions européennes. A peu près tout le monde rêve de la piqûre miracle chargée d’eurovitamines qui redonnerait de l’élan à l’économie essoufflée du Vieux Continent.

Le long débat sur la question s’essouffle. Longtemps, les pays du sud, y compris la France, ont plaidé pour les largesses de Bruxelles sous le regard méfiant des bons élèves, Allemagne en tête. Celle-ci se méfie: si les sommes débloquées servent à remplir les seaux percés des déficits, mieux vaut s’abstenir. Mais aujourd’hui un consensus se dessine. Samedi à Milan, les ministres des Finances de l’Union ont chargé la Commission et la Banque européenne d’investissement de présenter un plan. Le nouveau capitaine du bateau parle déjà de 300 milliards à mobiliser.

Aucun pays ne peut prendre le défi à la légère. La Suisse n’a pas à se donner non plus de grands airs absents: elle souffre déjà du ralentissement des affaires en Allemagne et des incertitudes de sa propre politique. Sa croissance nulle au deuxième trimestre 2014 casse son image de petit génie intouchable au milieu d’une classe de cancres.
De l’argent, il y en a en Europe. L’Union européenne elle-même n’est pas endettée: elle se finance par les contributions des Etats, pas par l’emprunt. Et puis il y a encore tant de niches à explorer. L’Allemagne vient de commander une étude pour savoir ce que lui rapportera la très modeste taxe sur les transactions financières qui sera instaurée par onze pays de la zone euro: entre 17 et 28 milliards, bien plus que prévu, une paille prometteuse. Sans parler, à une tout autre échelle, des possibilités de la Banque centrale européenne qui, elle aussi, se fait à l’idée d’un sérieux coup de pouce.

Tout cela est bien beau. Mais l’affaire se corse lorsqu’il s’agit de savoir où injecter la piqûre. Investir, bien sûr, mais où? Il y a tant d’éléphants blancs nourris de la solidarité européenne, des aéroports déserts et des lignes TGV superflues en Espagne, des myriades de bâtiments publics et de ronds-points en France cofinancés par l’UE pour le plaisir des pontes locaux. A l’est, les fonds structurels ont permis de réels décollages mais se heurtent aussi aux lenteurs et aux corruptions de pays embourbés dans les vieilles habitudes.  Même l’Allemagne de l’Est, remise à neuf à coup de milliers de milliards, peine au démarrage économique.

Les ministres allemand et français, Schäuble et Sapin, sont tombés d’accord à Milan sur une ligne directrice: c’est, outre les transports, l’éducation et la recherche qu’il faut favoriser plutôt que le béton. Juste. Mais les mots sont faibles. C’est une vraie révolution de l’enseignement qu’il faut lancer. Les langues, l’informatique, la culture générale… toutes ces branches doivent être revues et renforcées pour tenir compte du monde tel qu’il est. L’apprentissage, la formation continue, la reconversion des chômeurs: il y a tant de chantiers à ouvrir ou accélérer en Europe, tant d’expériences à échanger. Pourquoi, simple exemple, ne pas imiter le milliardaire Xavier Niel, qui ouvre des écoles d’informatique à des jeunes paumés, largués de l’école, qui retrouvent confiance en eux devant les écrans et jusque dans les dortoirs communs?
La croissance passe par l’investissement privé. Banalité. Mais pour que des entreprises se créent ou se développent, il faut de la confiance et surtout de l’envie. Or, trop d’Européens sont en panne d’envie. Trop d’entre eux mijotent dans les jérémiades. A force de peindre le paysage en noir, les médias conformistes et les politiciens en quête de suffrages, obnubilés par l’euro bashing, coupent les élans.

La croissance péclotera aussi longtemps que ne s’élèveront pas des voix fortes pour dire que l’Europe est riche, de capitaux et surtout de talents, d’inventeurs, plus juste socialement qu’aucune autre partie du monde, qu’elle est capable de tous les rebonds si elle croit en elle. Les peuples ont besoin d’un récit qui fait rêver, qui pousse à avancer ensemble. Les nationalistes, eux, voguent sur une mythologie, rétrograde et vénéneuse, mais qui paie. Les progressistes feraient bien d’élaborer leur vision et de la proclamer sans mollesse. Ce sera plus utile qu’ergoter sur le montant des sommes à injecter dans le corps fatigué de l’Europe. Fatigué mais loin d’être aussi mal en point que les dépressifs, les ennemis et les rivaux  le racontent.

jacques.pilet@ringier.ch

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