Industrie.Employeur de rêve jusqu’en 2009, Bobst ne cesse depuis de se battre contre les difficultés économiques. Elles changent le rapport entre «bobstiens» et direction.
Des ventes de 563 millions de francs, en hausse de 5,6%. Mais une perte sèche de 13 millions. Encore une fois, les résultats que vient de publier Bobst pour la première moitié de l’année s’écrivent en rouge foncé. Pas de quoi secouer le cours du titre pour autant: l’action du groupe industriel de l’Ouest lausannois se stabilise péniblement à 31 francs… soit trois fois plus bas qu’en 2007. Un indicateur qui rappelle à quel point la crise a, il y a près de cinq ans, assommé ce fleuron de l’économie vaudoise, dont les machines servent à paqueter à peu près tout ce qui s’emballe.
Son patron n’a d’ailleurs guère d’estime pour la Bourse et ses soubresauts. Jean-Pascal Bobst, petit-fils du fondateur et directeur général du groupe, a l’industrie dans la peau, et la finance dans le nez. «Une des seules grandes erreurs de mon grand-père et de mon père (…) est d’être allés dans cette folie boursière qui est la leucémie de notre monde civil ou économique ou capitaliste», raconte-t-il en novembre 2008 à Saint-Maurice, dans le cadre d’une rencontre durant laquelle lui et son épouse, Barbara, tous deux croyants fervents, témoignent de leur foi.
L’entrepreneur, qui s’est longtemps demandé s’il était fait pour ce monde des affaires, en est d’ailleurs convaincu depuis qu’il considère s’engager au nom du Père – plus encore qu’en celui de sa famille. «Quand je vois l’Asie, je n’ai pas peur. Pourquoi? Parce que j’ai le Seigneur. (…) Nous avons une bénédiction (…). Alors ce ne sera pas facile. Ce sera terrible. Ça va saigner. C’est la réalité. Mais ce n’est que du bonheur parce qu’on le fait pour le Seigneur. Parce qu’on le fait en son nom. Et Il va nous donner des solutions», expliquait-il quelques semaines avant que le groupe (à plus de 49% en mains familiales) publie les résultats les plus mauvais de son histoire.
Point de rupture. La foi, il faut bien l’avoir pour piloter le navire Bobst, qui vogue à vue depuis cinq ans. Fin 2008, la crise financière a provoqué l’arrêt net des entrées de commande. Vinrent ensuite la récession en Europe et aux Etats-Unis, le ralentissement des marchés émergents, la flambée du franc – horriblement douloureuse pour un groupe exportateur dont l’essentiel des coûts est en Suisse.
Si bien que l’année 2009, celle où l’héritier fut sacré directeur général, fait déjà figure de point de rupture dans l’histoire de l’entreprise. «Pour Bobst, il y a un avant et un après 2009», résume un employé. Avant et après le choc économique. Avant et après le changement direction.
Travailleurs choyés. Avant, Bobst, c’était l’employeur modèle de la région. Un navire amiral de l’économie vaudoise, comme insubmersible, même lorsque le reste de l’industrie périclitait. Dans les années 90, l’appareil de production vaudois se délite. Câbleries et Tréfileries de Cossonay, Sapal, Maillefer, Ateliers de constructions mécaniques de Vevey: les grands industriels restructurent et licencient à tour de bras, tandis que Bobst ne vacille pas.
«L’entreprise ronronnait et les employés ne pouvaient pas concevoir qu’il y ait un jour des licenciements. On comparait Bobst à Swissair ou aux PTT», se souvient Yves Defferrard, responsable du secteur industriel chez Unia Vaud. Et les salariés avaient une relation particulière avec leur employeur. «Il y avait un grand respect pour cette entreprise familiale et une grande confiance envers les patrons», détaille le syndicaliste.
C’est que les principaux actionnaires, les Bobst, mais aussi les de Kalbermatten ou les Rüttimann, choyaient plus qu’ailleurs leurs travailleurs. Formation de première qualité, assistante sociale à la disposition des employés, crèche, essence et cantine bon marché, massages assis à petit prix et, surtout, sécurité de l’emploi. Extérieur aux familles propriétaires, Andreas Koopmann dirige le groupe de 1995 à 2009, et cultive le respect de chacun.
Réveil brutal. Depuis, l’incertitude a chassé la sérénité. 2009 commence par un coup de tonnerre au sommet. Les administrateurs désignent Jean-Pascal Bobst directeur général le 1er avril. Une nomination vécue comme un putsch par l’équipe en place. Le charismatique Andreas Koopmann, sous lequel le groupe avait réalisé les meilleures ventes de son histoire, claque la porte de la maison. «Du côté des actionnaires, la branche Bobst avait la volonté de reprendre le contrôle sur le fonctionnement de la société.
La maman de Jean-Pascal, en particulier, souhaitait que son fils prenne la direction, explique un ancien cadre supérieur. Bien sûr, c’était dans l’ordre des choses, puisqu’il travaillait depuis longtemps dans l’entreprise, qu’il en gravissait les échelons et qu’il vit pour cette boîte. Mais c’était trop tôt. Il n’était pas encore mûr. Et le moment était particulièrement délicat.»
Au fil des mois, les départs se succèdent aux postes clés du haut de la pyramide. «Jean-Pascal Bobst a généré beaucoup de tourmente au niveau du management», commente Patrick Rafaisz, analyste auprès de Vontobel, qui suit le groupe depuis des années.
Mue douloureuse. Après le sommet, c’est la base qui est ébranlée: une salve de suppressions d’emplois est annoncée fin 2009. En deux semaines, 300 personnes perdent leur poste. «Les carnets de commande étaient vides, on ne pouvait pas le contester, alors on a négocié un plan social, pour accompagner les licenciements collectifs. En assemblée du personnel, 95% des employés ont accepté cette solution», retrace Yves Defferrard.
La nouvelle direction resserre les boulons à tous les échelons: les cadres baissent leurs salaires, les effectifs suisses sont regroupés à Mex, tandis que le site historique de Prilly est revendu. Le nouveau patron entend aussi se positionner sur le segment de l’entrée de gamme, pour faire face à la concurrence asiatique: il rachète le chinois Gordon, pour gagner un savoir-faire qui fait défaut à sa société. En parallèle, il restructure le groupe en unités d’affaires, lance le projet Phoenix, qui doit optimiser les processus de production et permettre la réduction des stocks. Le chef impose aussi son style: personne n’ose contredire monsieur Bobst, et tout doit aller beaucoup plus vite qu’avant.
Mais les ventes ne redécollent pas. Les résultats restent médiocres et, fin 2011, la direction annonce une deuxième restructuration: 420 emplois doivent passer à la trappe. Cette fois, sans négociations syndicales ni plan social. L’entreprise signe en revanche un partenariat d’un nouveau genre avec l’Etat: le canton lui verse 12 millions pour la formation des apprentis et Berne 6 à 8 millions pour la formation continue, tandis qu’elle s’engage à ne pas prononcer de licenciements collectifs.
«Il était nécessaire de dégraisser et c’était le moment ou jamais de le faire. Mais pas comme ça», juge un ancien dirigeant. Etalées sur dix-huit mois, les coupes se sont révélées particulièrement démoralisantes pour l’équipage, raconte Benoît*, les larmes au bord des yeux.
L’homme vient d’une famille de «bobstiens» et travaille dans la maison depuis des décennies lorsqu’il reçoit sa lettre de congé, au creux de l’été dernier. «Les licenciements de la dernière restructuration ne se sont pas effectués dans le respect. Imaginez l’ambiance pendant une année et demie! On passait son temps à se demander si l’on allait rester ou être viré, c’était horrible. Et on n’a pas eu droit à un plan social, ce qui est très injuste. En tout cas, je ne ressens plus la dimension familiale de cette entreprise.» Un sentiment que partage un employé d’une autre unité: «J’adore mon boulot. Mais je vais chercher autre chose, parce que, ici, on ne sait plus à quoi s’attendre.»
Incertitudes. Du côté de Mex, on explique avoir ainsi eu plus de temps pour «trouver des solutions pour un maximum de cas». Mais rien ne filtre sur le nombre de personnes licenciées au fil de ces dix-huit mois. A peine dit-on qu’il reste «à trouver une solution» pour une quarantaine de personnes – soit des gens qui ont ou vont perdre leur emploi, et qui n’ont pas encore retrouvé de travail.
Dans les bureaux comme dans les ateliers, on s’affaire donc sans savoir de quoi demain sera fait. Seule certitude: le retour au niveau d’avant 2009 est illusoire à moyen terme, même si le directeur poursuit laborieusement le repositionnement. «On dirait que la stabilité revient au niveau du management. Mais maintenant Jean-Pascal Bobst a besoin d’un trackrecord (de montrer des résultats, ndlr). Depuis qu’il est entré en fonction, l’entreprise est tout juste au seuil de rentabilité», avertit Patrick Rafaisz.
* Prénom d’emprunt
FAMILLE BOBST
Entreprise: Bobst, à Mex
Secteur: machines d’emballage
Création: 1890, par Joseph Bobst
Dirigée par: Jean-Pascal Bobst, petit-fils du fondateur
Employés: 5000, dont 1830 en Suisse
Chiffre d’affaires: 1,26 milliard de francs (2012)
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