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Agriculture: pourquoi la Suisse veut-elle ouvrir ses frontières?

Mercredi, 4 Septembre, 2013 - 06:00

Alléger les procédures tarifaires sur l’importation de la viande et du vin:la proposition des douanes a suscité une levée de boucliers des milieux concernés. Explications.

Que les amateurs de bonne chère se réjouissent, les douanes entendent assouplir les formalités d’importation de la viande et du vin. Il serait notamment possible d’importer sans taxe jusqu’à un ou trois kilos de viande, tous types et préparations confondus, ainsi que 20 litres de boissons alcoolisées (jusqu’à 18% de degré d’alcool, donc surtout du vin et de la bière). Cette réforme vise à réduire la charge administrative des douanes et à créer, à terme, un système de taxation électronique qui pallierait la fermeture de postes frontières pour des raisons économiques.

Les associations faîtières, qui n’ont eu qu’une dizaine de jours pour prendre position, se sont globalement opposées à ces propositions de simplification. C’est au tour maintenant du Conseil fédéral de statuer sur ces ordonnances qui doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2014. Réponse cet automne.

01. In vino veritas?
Ramener 20 litres de vin depuis l’étranger en Suisse sans être taxé à la frontière, c’est ce que propose l’Administration fédérale des douanes (AFD). Aujourd’hui, cette limite est fixée à 2 litres. Une adaptation qui a profondément irrité les milieux économiques concernés, sans doute parce que ceux-ci n’ont, cette fois-ci, pas été consultés. «C’est récurrent que ce type de proposition soit fait durant une période creuse, en l’occurrence l’été, avec un délai de réponse très court (initialement fixé au 13 août, mais finalement repoussé à la fin août, ndlr)», déplore Jacques Humbert, président de l’Association suisse des vignerons-encaveurs indépendants (ASVEI). Tout aussi indignés, le chef du Département vaudois de l’économie Philippe Leuba et le conseiller d’Etat jurassien Michel Probst. Tous deux ont d’ailleurs fait part, par écrit, de leur opposition à la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf.

La direction des douanes envisage également d’appliquer un tarif douanier, dès le 20e litre, de 2 francs au lieu de 3 francs comme actuellement. En crise, plombé par le tourisme d’achat et le franc fort, le secteur vitivinicole suisse est vent debout. «Ces propositions sont inacceptables, tonne l’Association suisse du commerce des vins (ASCV). Une hausse de la franchise quantitative est économiquement et objectivement injustifiable, d’autant qu’il s’agirait d’une incitation des autorités fédérales au tourisme d’achat. De plus, la franchise quantitative serait élevée unilatéralement par la Suisse alors qu’elle resterait dans l’UE à 4 litres par jour et par personne avec, par exemple en Allemagne, une taxe douanière de 2,10 euros par litre prélevée dès le 4e litre.»

Pas question donc de donner sans rien obtenir en échange. Surtout qu’en 2012, la Suisse a déjà importé 100 fois plus de vin qu’elle n’en a exporté, selon l’agence d’information agricole romande Agir. L’Interprofession de la vigne et des vins suisses (IVVS) et la Fédération suisse des vignerons (FSV) proposent donc de s’aligner sur les pratiques européennes. A l’adaptation, l’ASVEI oppose le statu quo. «Commençons déjà par faire rentrer ces millions de francs de taxes aujourd’hui non prélevées, parce qu’on ne contrôle pas, avant de vouloir réaliser des économies sur des produits comme le vin dont la consommation est en recul en Suisse comme en Europe», préconise Jacques Humbert.

La colère des uns et des autres semble avoir déjà porté ses fruits, puisque, le 12 août, la ministre de tutelle de l’AFD, Eveline Widmer-Schlumpf, aurait déclaré aux membres de la Commission de l’économie et des redevances du National que cette révision avait été menée sans qu’elle puisse y apporter une lecture politique. En d’autres termes, le projet de l’AFD ne sera pas appliqué tel que présenté. Certains pariant même sur son abandon pur et simple.

02. De la viande à gogo?
Parallèlement, les douanes envisagent d’adopter une franchise tarifaire unique – et non deux comme c’est le cas actuellement – des viandes. Les quantités pouvant être importées sans taxe varient entre 0,5 kilo pour la viande fraîche (réfrigérée ou congelée) et 3,5 kilos pour les produits carnés et autres préparations (viandes salée, séchée, fumée et viande de volaille). A l’avenir, ces quantités pourraient être indistinctement limitées à 1, voire 3 kilos. L’AFD propose également de supprimer le plafond d’importation aujourd’hui fixé à 20 kilos par jour et par personne.

L’abrogation de cette limite supérieure fait bondir l’Union professionnelle suisse de la viande (UPSV): «C’est la porte ouverte à une commercialisation privée et au tourisme d’achat. Ce n’est pas acceptable et cela nuirait aux intérêts économiques suisses. Le tourisme d’achat motivé par la force de notre monnaie engendre déjà des pertes estimées à 1,2 milliard de francs par année pour la branche. C’est pourquoi nous proposons de fixer cette limite supérieure à 3 kilos», développe le directeur de l’UPSV, Ruedi Hadorn. Une position que partage l’Union suisse des paysans (USP), arguant que le système est déjà suffisamment souple et que «ces mesures ne peuvent que favoriser le trafic transfrontalier», selon Francis Egger, économiste et membre de la direction de l’USP.

En revanche, l’UPSV se déclare favorable à la simplification des droits de douane et à l’uniformisation des deux catégories de viande en vigueur, car «cela donne lieu à des situations impossibles». Avec un bémol toutefois en ce qui concerne la quantité de viande importée hors taxe: l’association faîtière recommande de fixer cette limite à 1, non à 3 kilos. De son côté, le directeur de l’Association hôtelière du Valais, Patrick Bérod, se réjouit des propositions de l’AFD, car «les coûts élevés d’approvisionnement en marchandise prétéritent grandement l’hôtellerie suisse déjà confrontée au franc fort».

03. Quel impact sur le tourisme d’achat?
De l’avis des organisations faîtières, ces modifications équivalent à accroître l’attractivité du tourisme commercial. «Augmenter la franchise de 2 à 20 litres de vin, c’est passer d’un approvisionnement de son propre ménage à une activité commerciale», affirme Francis Egger. En 2012, les Suisses ont dépensé près de 9 milliards de francs dans des achats à l’étranger, essentiellement pour l’alimentation, selon la Communauté d’intérêt du commerce de détail suisse qui compte parmi ses membres Migros, Coop, Manor, Denner, Valora et Charles Vögele. «Rappelons que pour les produits alimentaires, viande y comprise, l’agriculture n’est responsable que d’un tiers de la différence de prix, les deux autres tiers provenant de coûts de transformation et de distribution plus élevés dans notre pays. Si le consommateur suisse veut payer le même prix pour ses denrées alimentaires que le Français ou l’Allemand, il n’y a pas d’autre option que de baisser les salaires en Suisse.»

Bien que le contexte économique actuel d’un franc fort soit favorable au tourisme d’achat, la Fédération romande des consommateurs (FRC) s’oppose à l’idée de punir et de diaboliser le consommateur dans ses actes d’achat. «Ce n’est pas ainsi que l’on va le retenir chez nous. Rien n’empêche aujourd’hui celui qui désire importer plus de le faire (en passant plusieurs fois la frontière, par exemple). Nous estimons alors qu’il y a un équilibre: en assouplissant les règles, on rend le système plus compréhensible, ce qui entraînera un meilleur respect des règles», assure Nadia Thiongane, responsable politique économique et économiste auprès de la fédération.

Même avec une hausse de la franchise quantité, les protections douanières sur l’alcool sont «garanties», car «cette marchandise entrera dans la franchise valeur». Soit une limite de 300 francs pour tous les achats effectués à l’étranger (par jour et par personne). Si le total des produits importés la dépasse, l’ensemble des biens est soumis à la TVA (taux de 8% ou de 2,5%, selon les marchandises).

Quant à la menace que pourraient faire peser ces adaptations de franchise sur les produits indigènes, la FRC n’y souscrit pas. «Les consommateurs suisses sont friands de leurs produits locaux et sont prêts à mettre le prix pour cette qualité. Evidemment, les produits d’entrée de gamme seront plus exposés.» La fédération encourage d’ailleurs vivement les consommateurs suisses à acheter des produits alimentaires nationaux, dans la mesure où «ils peuvent influencer leur mode de production par le biais d’initiatives ou de pétitions, et en élisant des représentants qui défendent leurs intérêts», précise Nadia Thiongane.

04. Un pas vers la libéralisation de l’agriculture?
Au-delà de la simplification de procédures assurément complexes se pose évidemment la question épineuse de la libéralisation du secteur agricole. Un serpent de mer depuis les années 70, période à partir de laquelle la Confédération a entamé des négociations bilatérales avec l’Europe encore non unifiée. Sous les pressions de la libéralisation du commerce mondial dans le cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), puis des négociations du cycle de Doha des Etats membres de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), les mesures protectionnistes en faveur de l’agriculture suisse ont été petit à petit supprimées (prix de produits garantis par l’Etat, protection aux frontières, etc.). L’accent mis sur l’amélioration de la compétitivité du secteur agricole a notamment engendré l’abandon définitif en 2009 du système de quotas laitiers. Avec un succès discutable.

Sur le principe, la Suisse souscrit aux propositions de l’OMC sur la diminution des tarifs douaniers sur les produits agricoles et celle des subventions à l’exportation, ainsi que sur une réduction des mesures de soutien interne attachées à la production. La politique agricole 2014-2017, adoptée par le Parlement en juin dernier, introduit un nouveau système de paiements directs qui va dans ce sens. En supprimant la prime à la vache (un paiement direct accordé par animal pour soutenir, à l’origine, la paysannerie de montagne) à la faveur d’une prime à la surface, la loi suisse se conforme en effet au principe de soutiens financiers sans effet de distorsion sur les échanges commerciaux adopté par les membres de l’OMC.

En d’autres termes, quel que soit le type de production, l’agriculteur obtiendra le même montant de paiements directs. Une disposition qui est loin de plaire aux associations. Plus de 250 prises de position, dont la majorité ont trait à l’ordonnance sur les paiements directs, ont été formulées. Pour l’Union suisse des paysans, ces nouvelles dispositions sont notamment de nature à favoriser la production intensive. A ces griefs s’ajoutent ceux relatifs aux prestations imposées aux agriculteurs, «toujours plus nombreuses et orientées sur l’entretien du paysage et la protection de l’environnement aux dépens des fonctions de production».


En chiffres

3663 mil lions de francs
L’agriculture figure à la 6e place des dépenses de la Confédération, après la prévoyance sociale (20 557), les finances et les impôts (9954), les transports (8062), la formation et la recherche (6509) et la défense nationale (4533).

74% de produits importés de l’ue
La Suisse est le pays qui importe le plus de denrées alimentaires au monde. En 2011, 74% des produits agricoles importés provenaient de l’UE, et 61% des exportations étaient destinées à l’UE.

1500 francs
C’est le montant moyen des produits alimentaires importés par habitant chaque année en Suisse. Les ménages suisses consacrent 8% de leur budget à l’alimentation, soit le plus faible taux des pays européens.

-1,8% d’exploitations agricoles
En 2012, la Suisse comptait 56 575 exploitations agricoles, soit 1,8% de moins qu’en 2011. La surface agricole utile est cependant restée la même avec plus de 1 million d’hectares, dont 12% sont exploités de manière biologique (+2,4%).


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Répit: nul besoin de beurre étranger

Une autre mesure d’importation a mis le milieu agricole en émoi. Début juillet, OS Beurre, l’organisation sectorielle regroupant notamment Cremo et Emmi, avait annoncé avoir réservé un certain volume de beurre sur le marché étranger et vouloir en importer 500 tonnes à titre préventif pour faire face à une éventuelle pénurie. Finalement, les stocks ont atteint un niveau suffisant, d’après OS Beurre. C’est la chute inédite de 5,4% de la production de lait entre janvier et avril, à cause des mauvaises conditions climatiques de ce printemps et des quantités élevées de lait transformées par plusieurs variétés fromagères, qui avait incité la branche beurrière à prendre cette mesure préventive. Laquelle avait fâché les agriculteurs qui réclament depuis longtemps une hausse du prix du lait que des années de surplus ont fait chuter.

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